La coopérative à la une La CRL, une affaire de famille
Indépendante et dirigée par une femme, la coopérative régionale du Lauragais (CRL) affiche une progression régulière de son activité de collecte. Un nouveau silo de 7 000 t est en projet.Par Florence JacquemoudPhotos : Lydie Lecarpentier
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Voilà 85 ans que la coopérative régionale du Lauragais (CRL) est indépendante, solidement ancrée sur son territoire de Villefranche-de-Lauragais, en Haute-Garonne. Créée en 1936 par Maurice Izard, arrière-grand-père des actuels dirigeants, elle a installé ses premiers greniers dans un gros garage de 500 m2, avant de doubler sa surface quelques années plus tard. « Cette coopérative a été fondée par un entrepreneur car, à l’époque, les agriculteurs avaient un peu peur de se lancer, raconte Serge Marquié, président depuis 1994. Maurice Izard croyait en la coopération, et les producteurs, une dizaine à l’époque, avaient besoin de se réunir pour mieux vendre leurs productions. Ils lui ont dit : “Si tu finances les installations, on apporte nos céréales !” Il a alors acheté un terrain pour se lancer. La CRL est née de l’association d’une famille et d’un groupe de céréaliers du Lauragais. » Et cette structure originale a été préservée tout au long des années.
Après Maurice, c’est Aristide Izard, son fils, qui a pris le relais et bâti le premier silo en 1950 sur le site que la coop occupe aujourd’hui. À l’époque, celle-ci se trouvait à la lisière de la ville de Villefranche-de-Lauragais, au milieu des champs. Depuis, elle a été rattrapée par l’urbanisation et se retrouve entourée de zones d’activités et de lotissements. En 1970, Richard Sié, le gendre d’Aristide, prend les commandes et consacre cinquante années à développer l’activité au côté de son épouse Suzon, chargée de la gestion de la coop et de ses adhérents, avant de passer la main à Éric, leur fils, actuel directeur commercial, puis à Line, leur fille, directrice générale depuis deux ans. Sur ces quatre générations, la famille Izard-Sié n’a jamais lâché les rênes de la petite coop.
100 000 t collectées par an
Au cours des années, le nombre de producteurs qui se sont ralliés à la coop n’a cessé d’augmenter, et les rendements ont plus que doublé. « Mon arrière-grand-père a commencé en collectant 500 t de céréales, puis rapidement 2 000 t, confie Line Sié. À l’époque, une grosse moitié des agriculteurs possédaient leur propre capacité de stockage. Aujourd’hui, nous travaillons avec un petit millier d’adhérents sur la Haute-Garonne, l’Ariège, l’Aude, le Gers et le Tarn, dont 700 actifs. Ce sont eux qui font le gros de la collecte, laquelle atteint 100 000 à 110 000 t par an. Nos installations nous permettent de stocker 31 000 t. Vu notre situation géographique, nous sommes obligés de nous adapter. Depuis dix ans, pour nous agrandir, dès qu’une maison est à vendre à proximité immédiate de notre périmètre, nous l’achetons pour récupérer le terrain. Nous venons de le faire pour deux propriétés à la place desquelles nous allons investir 4 M€ pour construire un nouveau silo de 7 000 t, si possible d’ici 2022. Nous envisageons qu’il soit bio, car nous pouvons vendre des appros et des céréales bio, mais nous n’avons pas de quoi stocker les récoltes. » La CRL utilise aussi trois silos satellites, soit 5 000 t en plus, chez des agriculteurs. « Il y a trois ans, nous avons également acquis un terrain de 2 ha et une ancienne usine à bois sur la commune de Fourquevaux, à 20 km, au cas où nous ne pourrions plus nous étendre ici, poursuit la DG. Mais pour le moment, nous n’y travaillons pas. Je préfère garder tous nos salariés sur place. »
Le blé dur, pépite du Lauragais
Historiquement, la coop collectait du blé et du maïs. Aujourd’hui, elle stocke tout ce que ses adhérents lui livrent. Aucun contrat ne les lie, mais elle sait, au vu des achats de semences, à quoi ressemblera l’assolement. « La principale culture est le blé dur, pépite du Lauragais, qui représente environ 40 % de notre collecte totale, soit 40 000 à 45 000 t, poursuit Line Sié. Les débouchés naturels sont les Silos du sud, à Port-la-Nouvelle (Aude), où partent 70 % de notre production que nous chargeons à destination du marché européen (Italie, Portugal) et des pays hors UE, notamment en Afrique. Nous livrons ensuite les industriels de la semoulerie française et espagnole (Catalogne, province de Huesca), proches géographiquement. Les autres céréales à paille, une dizaine de variétés de blés meuniers et fourragers, sont vendues en grande majorité sur le marché de l’alimentation animale, mais nous servons aussi quelques clients en meunerie. »
Commercialisation à l’ancienne
Les tournesols oléiques et linoléiques représentent une grosse partie de l’activité, soit 20 000 t par an. La CRL les expédie vers les usines de trituration françaises et espagnoles, et en exporte parfois par voie maritime via les chargeurs spécialisés. « Une partie de nos producteurs est également sous contrat avec trois partenaires historiques en oisellerie en Belgique et en Hollande, précise Vincent Bos, acheteur et vendeur de céréales de CRL. Nous leur envoyons du sorgho roux et blanc, des pois et pois verts, du millet, du sarrasin, du tournesol blanc et strié… » Au total, la CRL collecte une cinquantaine de produits qu’elle classe le plus finement possible au sein des 80 cellules de son site. « C’est la clé pour bien revendre les produits », note Line Sié.
« Notre collecte étant essentiellement composée de blé dur, tournesol et orge, trois produits qui ne se vendent pas sur le marché à terme, nous travaillons à l’ancienne en nous basant sur les cours physiques, précise Vincent Bos. Nos 18 salariés, tous très polyvalents, traitent 100 000 t/an. Cette performance technique et économique nous permet de proposer des prix intéressants aux producteurs. » Et ce, même en période de crise. En août dernier, alors qu’elle faisait face à un important problème de mycotoxines dans ses cellules de blé dur, ses employés sont revenus de vacances pour trier la céréale. 80 % de la récolte ont été sauvés. « Avec le conseil d’administration, nous avons décidé de payer aux agriculteurs tous les contrats au prix normal du blé dur, sans déclassement, soit 230 €/t au lieu de 180 €, détaille la DG. Déjà que les rendements étaient en baisse de 32 %, nous ne voulions pas que nos adhérents en pâtissent davantage. » « Ce sont eux qui font la coop, nous avons voulu leur donner un coup de main, relève Vincent Bos, mais ça a fait du bruit dans la région. 20 % de la récolte ont été vendus aux fabricants d’aliment 40 à 50 €/t de moins qu’aux semouliers. Le manque à gagner a été important. »
La coop peut toutefois se permettre ce type d’opération car ses finances sont saines, avec un CA qui progresse de 10 % par an en moyenne. « Nous possédons un fonds de roulement qui nous permet de travailler correctement, confirme Serge Marquié. Notre capacité d’autofinancement est suffisante, nous n’avons jamais eu de perte de gestion et nous n’avons pas d’emprunt. Même les mauvaises années, notre bilan est positif. » Cette bonne santé permet à la CRL d’envisager d’investir dans la transformation de tournesol en huile et tourteau, et de participer à un projet de création d’une semoulerie près de Toulouse.
Réputée pour ses fêtes
Enfin, pour cultiver la convivialité dans ses échanges avec les producteurs, la coop entend reprendre rapidement ses activités festives. Portes ouvertes, assemblées générales, anniversaires tous les cinq ans… sont autant d’occasions d’offrir à ses adhérents des fêtes à thème et de grands repas « servis à l’assiette » qui se concluent parfois par un feu d’artifice. « Nous louons des bus pour aller les chercher et les ramener, précise Line Sié. Le budget est conséquent mais les agriculteurs apprécient et ils s’en souviennent. Nous avons même affrété un avion à l’époque d’Aristide pour aller au Salon de l’agriculture à Paris puis au Moulin rouge. » La CRL organise aussi, avec une agence de voyages spécialisée dans le monde agricole, des séjours à l’étranger pour découvrir les exploitations locales et les pays. Chine, Brésil, Pérou, États-Unis, Belgique… ont déjà été visités. La prochaine destination sera la région des Pouilles, en Italie, début septembre. « L’important, pour nous est l’esprit famille, note Line Sié. Nous connaissons tous nos adhérents, nos bureaux sont ouverts, ils viennent quand ils veulent. De plus en plus d’agriculteurs souhaitent nous rejoindre. Nous essayons de satisfaire tout le monde, tout en gardant une entreprise à taille humaine. »
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